Dans le cas qui suit, nous allons étudier l’anatomophysiologie d’un incident de la vie quotidienne et de l’hémorragie de privation expérientielle qui en fut la conséquence. Si vous pensez vous reconnaître dans cette histoire, j’espère que vous n’êtes pas seul(e), elle se veut uni-vers-elle 😉

Judith est mère de deux enfants: Théo, 12 ans et Lila 10 ans et demi. Elle vit seule avec eux une semaine sur deux. Son ex-mari Jérôme s’est occupé des enfants pendant le week-end, elle les a ensuite récupérés  le dimanche après-midi. Lundi matin au petit déjeuner, elle se rend compte en faisant les cartables que Lila a une interrogation, et qu’elle n’a rien étudié.

Tout à coup, c’est la tempête émotionnelle, elle crie, se fâche tout rouge, maudit son ex-mari, craint le pire pour l’examen que sa fille va passer, est accablée et en proie à une tristesse qui l’inonde de larmes.

Pêle-mêle, une série de pensées lui viennent et se bousculent, pensées qu’elle traite comme la réalité au moment des faits, accompagnées de vagues d’émotions cataloguées d’indésirables:

« Je suis seule à les éduquer » (découragement, solitude).
« J’ai peur que ma fille échoue » (anxiété).
« J’aurais du vérifier cela plus tôt » (culpabilité).
« Je ne peux pas compter sur mon ex-mari (colère).
« Ma fille sera punie ou montrée du doigt » (exclusion).
« Pourquoi cela doit-elle lui arriver? » (tristesse et injustice).
« Impossible de remédier à cela, il est trop tard, on doit partir à l’école (impuissance).

Le hasard veut qu’elle ait pris rendez-vous ce lundi matin et je la reçois au retour du chemin des écoliers. Elle a les yeux rouges, sous le choc de ses émotions, et encore en proie à des luttes intestines.
Judith a déjà fait beaucoup du chemin et je lui rappelle ce qu’elle a déjà appris durant nos précédents entretiens.

Je l’invite à s’assoir et à prendre quelques respirations profondes, puis je lui propose d’aller braquer le projecteur de sa conscience sur la sensation corporelle qui domine en cet instant. Elle me décrit une oppression dans la poitrine, le long du sternum, qui sert sa cage thoracique comme dans un étau, la sensation a la taille d’une balle de rugby, elle est pesante, elle la caractérise comme étant sombre et brûlante. Elle lui donne un petit nom: « c’est une boule de pus » et me la dessine. Je lui propose d’accueillir cette sensation, de lui autoriser sa présence. Je lui rappelle qu’entre la vie -en tant que maman avec les idéaux qui l’animent- qu’elle souhaite offrir à ses enfants et ce que la vraie vie réserve parfois, l’émotion vient là se nicher dans le fossé qui les sépare. Quelle sorte de mère serait-elle si elle avait été indifférente en la circonstance? Après avoir autorisé et normalisé, il est temps de donner de l’espace à l’émotion en respirant tout autour et de la laisser exister. Ensuite je lui propose d’aller poser une main douce, compatissante, compréhensive à l’endroit de la boule de pus. Je lui demande de réfléchir aux qualités qu’elle souhaiterait que son émotion acquiert si elle avait une baguette magique. Elle lui souhaite de gagner de la patience, de la confiance et de pouvoir relativiser. Enfin, nous terminons l’exercice en ré-élargissant le champ de son attention à ses appuis, sa respiration, l’expression de son visage et l’environnement sonore de la pièce.

Lorsqu’elle ouvre les yeux, Judith est de retour dans l’ici et le maintenant. Je lui demande alors de réfléchir à la matrice de cet évènement. Quelles sont ses valeurs? Quelles ont été ses pensées? Ses émotions? Ce qu’elle a fait l’a-t-elle approché de ses valeurs ou éloigné? Si elle s’est éloignée, comment aurait pu-t-elle agir autrement?

Voici le résultat de sa réflexion:

Après l’exercice d’acceptation et le débriefing par la matrice, Judith est maintenant pleinement présente à elle-même, sa boule de pus n’a pas disparu, mais elle est proportionnellement plus petite et a cessé d’être énergivore.
Nous entamons un exercice de Pleine Conscience inspiré par Matthieu Ricard. Dans l’acmé de la colère, nous avons tendance à maudire celui que nous désignons coupable de notre malheur. Au final, cela ne fait de tort qu’à nous même, cette rancœur nous empoisonne.
Ici, je l’invite à un exercice de compassion dirigée sur elle puis sur sa fille. Après un bref ancrage dans ses appuis et sa respiration, à chaque inspiration elle absorbe ses idées noires, ses émotions pénibles, ou tout autre inconfort, à l’expiration, elle leurs envoie diverses qualités comme d’acquérir un état de paix, de bonheur ou de santé.
Identiquement pour sa fille, elle l’inspire et à l’expiration lui envoie les qualités qu’elle lui souhaite pour son interrogation: concentration, mémoire, réflexion logique.
Lorsque nous sommes dans cette dynamique de « bénir », dire et souhaiter du bien à quelqu’un, nous nous connectons au meilleur de nous-mêmes et cet état de compassion nous apaise.
C’est une autre Judith qui me serra la main au terme de ce rendez-vous. Elle me témoigna sa gratitude plus tard dans la journée en m’envoyant un SMS de remerciement. Sa journée fut relancée sur les bons rails, ceux de l’engagement. La mienne le fut aussi.

Photo credit http://www.flickr.com/photos/gadl/371210258/sizes/m/in/photostream/

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