Josiane, patiente de 43 ans, me consulte pour un problème de constipation dont elle souffre depuis « toujours ». Pour l’instant, elle le gère vaille que vaille avec son hygiène de vie. Faire de l’exercice physique, manger légumes, fruits et céréales complètes, boire beaucoup d’eau, dont de l’eau tiède à jeun, tout cela l’aide quand elle est coincée. Elle a par ailleurs déjà « tout » essayé.
Nous abordons la question sous l’angle de l ‘ACT.
Les valeurs en jeux sont la santé (elle est là pour ça), la légèreté et l’autonomie.
La souffrance physique qu’elle ressent dans son corps, s’apparente à une lourdeur, un ballonnement.
Quand elle se retrouve aux toilettes, et que par hasard, un de ses enfants, ou son mari lui parle ou même fait un peu de bruit à proximité, elle se retient et la pensée que « c’est fichu, cela ne sortira plus » lui traverse l’esprit. D’ailleurs, « elle a toujours été constipée ». Ce qu’elle ressent s’apparente à de la peur d’avoir honte au cas où on la surprendrait.
Depuis aussi longtemps qu’elle puisse s’en souvenir, l’activité de déféquer ou d’avoir des flatulences, « ça ne se fait pas ». On n’en parle pas, c’est grossier, on se cache pour les exercer, et pour peu que l’on ne soit pas strictement seul, on se retient. Si on m’entendait, quelle honte…!
A mesure qu’elle nomme les pensées, elle réalise déjà comme elle a pu se laisser tyranniser par son esprit et elle repère les amalgames entre certains mots/jugements et la fonction en elle-même.
Décodons cela sur la matrice:
Actions qui m’éloignent de mes valeurs:Me retenir. Essayer de nombreux remèdes (consulter). |
Action qui me rapprochent de mes valeurs:Me soulager |
Souffrances:Sensations corporelles: ballonnement, pesanteur abdominale. Émotions: peur d’avoir honte Pensées: |
Valeurs:santé, légèreté, autonomie. |
Ensemble, nous pouvons valider ces pensées, l’esprit les fabrique et fait revenir cette histoire, c’est comme cela qu’un esprit est conçu. Il est volontiers enclin à nous déprécier et à être pessimiste.
Du temps des premiers hommes, hors de la caverne, l’esprit nous disait: « Fais gaffe, tu vas te perdre, mourir de froid, de faim, te faire tuer. », d’où les constats fréquents de type « c’est fichu ».
Hors du clan, impossible de survivre seul, et l’esprit nous racontait:« tu es nul pour tailler les silex, pour chasser, assurer ta descendance, attention, le groupe va te rejeter! ». Ici: tu n’es pas capable de pousser. Josiane se souvient par ailleurs qu’elle n’avait pas été capable de pousser pour accoucher (naissance assistée par forceps).
L’esprit a tendance à classer les expériences: bonnes ou mauvaise, de façon définitive, en fonction d’un résultat obtenu dans le passé, parfois pour des questions de survie. D’où les jugements de type « ça ne se fait pas » ou « c’est grossier ». Qui sait si l’odeur des excréments ou le bruit des flatulences n’a pas attiré les bêtes sauvages dans un passé lointain?
Ce type de fonctionnement de notre esprit a certainement été utile comme moteur d’évolution. Et nous pouvons le remercier. Dans le contexte de Josiane, il n’est pas fonctionnel.
Je lui propose de défusionner avec ces pensées:
En les écrivant: J’observe que j’ai les pensées que: « … ».
Je lui suggère aussi d’en chanter l’une ou l’autre; elle fredonne « j’ai toujours été constipée » sur l’air de « j’aurais voulu être un artiste ».
Enfin, je l’invite à donner un nom à toute cette histoire, et elle lui choisit ce titre:
« Poussez pas derrière ». Ce qui la fait sourire.
Je lui rappelle que ce ne sont pas des stratégies de contrôle mais des manières de reconnaître l’histoire pour ce qu’elle est, quand elle se présente, à savoir des mots mis ensemble, et pas la réalité.
Nous explorons alors le domaine de l’acceptation. Je lui demande de s’imaginer en situation et d’explorer les sensations liées aux émotions de honte, culpabilité et impuissance. Elle me les décrit comme un étau qui bloque sa respiration et qui s’accompagne d’une contraction au niveau du périnée. Ce qui a généralement pour effet de la bloquer. A court terme, elle évite la honte de se faire surprendre, qu’on aie pu l’entendre ou la voir. A moyen et long terme, elle souffre davantage.
Passé au filtre de la fonctionnalité « est-ce que cette histoire l’aide? », la réponse est non.
Et maintenant? S’engager à reconnaître les pensées et les émotions qui surgiront la prochaine fois que la situation se présentera. Remercier l’esprit pour ces pensées intéressantes sans débattre si elles sont vraies ou fausses, bonnes ou mauvaises, simplement noter qu’elle ne sont pas utiles en la circonstance, anticiper les émotions et accepter leur venue, tout en choisissant l’action qui la rapproche de ses valeurs: « Dégage…tout! » 😉
Pour conclure, notons que le problème de Josiane est moins aigu qu’avant, et qu’elle s’en porte mieux. ACT apporte ici un complément thérapeutique fonctionnel, autonomisant et sans effets secondaires ni accoutumance aux laxatifs. Il ne remplace pas ce qui a été fait en amont, l’anamnèse, l’examen clinique et les examens complémentaires nécessaires. Mais quand le bilan clinique et para clinique est rassurant, que la constipation est étiquettée de « fonctionnelle ou idiopathique », ACT se révèle être un outil thérapeutique qui fonctionne, y compris en dehors du DSM IV-R (Manuel nosographique utilisé en Psychiatrie).
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Merci pour ce bel exemple point par point comment l’ACT peut aider nos patients et comment procéder en tant que thérapeute. Très utile pour ma pratique.
Apprendre à faire défusionner reste difficile pour moi en tant que thérapeute. Du coup les exemples cités sont précieux et viennent enrichir ma boite à outils.
Merci
Bonjour,
Je recherche un praticien qui pratique cette médecine en Lorraine. Pouvez-vous me donner des références ?
Merci.