Défusion et acceptation chez le thérapeute exemple de KasàlACTLes soignants sont tous les jours confrontés dans leur travail à des situations ou des rencontres dont ils se passeraient volontiers dans une version édulcorée de leur vie professionnelle. L’exemple ci-dessous est inspiré d’une expérience vécue, récente, où grâce à des outils tels que la matrice, la défusion et l’acceptation, j’ai pu vivre ce qui pour moi fait sens plutôt que de fuir en dépit du bon sens.

Les circonstances ont été légèrement modifiées de sorte que cette histoire est entièrement vraie bien qu’entièrement ré-imaginée, que personne ne puisse s’y reconnaître et que nous puissions tous nous y  reconnaître. Inspirée par le Kasàlà*(voir le site du Professeur Kabuta – Gent Universiteit), technique d’auto-louange, vous serez peut-être choqué par la fin de l’histoire pensant à avoir affaire à de la forfanterie. Le Kasàlà transcende celui qui l’écrit et l’appelle à être le meilleur de lui-même. Lorsqu’il est partagé publiquement, il transcende celles et ceux qui écoutent l’histoire et s’y reconnaissent à leur tour.

Médecin de garde opérant ce jour-là dans le centre de la capitale, on me donne une visite à domicile pour le motif suivant : demande de prescription. Tout de suite, ça chauffe entre mes deux oreilles malgré un système de ventilation très efficient. Je parcours la ville en vélo pour aller d’un domicile à l’autre et le froid humide du mois de novembre glace mes deux pavillons auditifs.

« Quand on est de garde -me dit mon esprit- on n’est pas là pour renouveler des prescriptions » (jugement). « Ce sera sûrement pour des tranquillisants » (à priori). « Je ne serai sans doute pas payé » (appréhension).
Celui qui est impayable, c’est bien moi qui ne suis plus là où je suis, sur mon vélo, perdu dans mes ruminations et qui aurait besoin de tranquilliser mon esprit et mes bouillonnantes émotions.
« C’est toujours sur moi que cela tombe » (colère). « Je suis la bonne poire de service »… En arrivant sur place, je suis déjà bien remonté et dans les pires dispositions possibles. Je sonne à la porte et au parlophone, une voix « sous influence » me répond d’entrer et de monter à l’étage. « Je te l’avais dit -ricane mon esprit- il a bu et/ou pris trop de médicaments… ».

Quand on m’ouvre la porte, je découvre le théâtre d’une descente aux enfers. L’appartement est insalubre, un taudis (jugement), la personne qui l’habite un débris (encore jugement), l’odeur qui y règne me donne la nausée (sensation). Elle parle de cette voix pâteuse caractéristique d’une certaine ébriété que son haleine et la présence de nombreuses vidanges confirment. Les explications qu’elle me donne abondent dans le sens des bavardages de mon esprit: situation précaire, rupture de paiement, désinsertion sociale, et un traitement psychiatrique dont anxiolytiques, antidépresseurs et somnifères qui nécessite des ordonnances, raison de ma présence ici.

Je ne sais quel éclair de conscience me chatouille et je me réveille du cauchemar apparent dans lequel je me débats. Et je fais une mini « pause-tri » (matrice). Je respire et me reconnecte en quelques secondes à mes sensation, j’observe calmement les pensées qui vont et viennent et me reconnecte à mes valeurs. Et j’aperçois que ce que je m’apprête à faire n’a aucun sens.

Englué dans mes jugements et a priori (fusion), accompagné par de la colère, de la peur et du dégoût auto-attisés qui se soldent d’une franche envie de pas être là (interrupteur de la lutte relevé à 10/10), je me préparais à des stratégies d’évitement expérientiel.
Heureusement l’ACTeur qui sommeillait en moi tire la sonnette d’alarme à temps grâce à cette brève entr’ACTe. Voici ce que cette observation révèle:

 Comportements de lutte:Froideur dans l’échange: manque de compassion.
Envie d’en finir au plus vite: tentation de prescrire et de partir séance tenante
 Actions engagées:Je prends le temps.
Écoute attentive, lien thérapeutique.
Partage d’outil: matrice et exercices de défusion et d’acceptation avec le client.
 Souffrance:Pensées:
Ma présence est inutile, à quoi bon parler à quelqu’un qui est ivre?
Je ne serai pas honoré.
Cela tombe toujours sur moi.
Mes vêtements seront imbibés par cette odeur.
Émotions:
Impuissance (que puis-je changer ici?)
Anxiété (je ne serai jamais payé)
Colère (je suis la poire de service)
Dégout (l’odeur est terrible)
Culpabilité (comment oses-tu penser cela?)
 Valeurs:Prendre soin
Prendre le temps
Compassion
Transmission, partage
« Be a lighthouse »

 

En me reconnectant à mes valeurs, en prenant distance avec mes pensées, je réalise que la personne qui est en face de moi a une conscience, qui habite un corps tel que je peux le voir aujourd’hui, et le lieu tel qu’il est au moment des faits. Ni son corps ni sa résidence qui mériteraient tous deux plus de soins ne m’indiquent à qui je parle. Je vais donc me relier à cette conscience, écouter et avoir de la compassion pour toute cette souffrance. En faisant preuve de patience et d’authenticité, les portes s’ouvrent à un dialogue plus sincère, profond et chaleureux. C’est là que je peux apporter ma contribution dans cet échange qui m’a lui-même beaucoup apporté. Je déballe les outils que j’ai appris à utiliser et j’en explique le mode d’emploi. Techniques de défusion, d’acceptation et schéma de la matrice. Ici maintenant en oubliant le temps qui passe.

Au terme de la visite, le patient me remercie, il me dit que jamais un médecin ne lui a parlé comme cela. J’ai pu le regarder comme l’enseigne Kelly Wilson, comme un coucher de soleil.

Le simple fait de cette reconnaissance et d’avoir pu avec cet inconfort relatif, poser une action qui avait du sens pour moi m’a fait ressortir de là sur coussins d’air; j’étais mû par l’enthousiasme, par le souffle de l’humanité, j’ai survolé la ville à bicyclette jusqu’au domicile suivant.

J’éprouve aujourd’hui une immense gratitude pour ceux sur ma route qui m’ont guidé et appris à utiliser l’ACT thérapie, c’est l’outil le plus bouleversant et le plus humanisant qu’il m’aie été donné de partager. Pour périphraser Viktor Frankl, ACT permet de vivre sa vie comme si c’était la deuxième fois, avec responsabilité, la capacité de pouvoir poser des actes en accord avec notre raison de vivre. Et ce que vous en avez fait, personne ne peut vous le retirer.

Soumis par Dr Olivier Bernard, Médecin généraliste formé à la Pleine Conscience, que vous pouvez suivre sur son Blog – ACT don’t react

Bibliographie :
Passez à l’ACT : Pratique de la thérapie d’acceptation et d’engagement ; Russ Harris
La Thérapie d’Acceptation et d’Engagement, Guide Clinique ; Benjamin Schoendorff
Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie,  Viktor Frankl

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